Dans la longue interview que le Doyen actuel de la Faculté, le Professeur Frédéric Joël Aïvo, a accordée au quotidien béninois « La Nouvelle Tribune » dans sa parution N° 3278 du 25 mai 2016, ce dernier a brièvement évoqué la question des infrastructures de l’établissement dont il a la charge.
Dans ce cadre, il n’a pas manqué de souligner l’importance des efforts fournis par le Recteur actuel de l’Université d’Abomey-Calavi dans le domaine des infrastructures pour améliorer un tant soit peu les conditions de travail des étudiants de son Université. Toutefois, il a aussi reconnu que malgré ces efforts, il reste beaucoup à faire au regard du phénomène de massification auquel doivent faire face les universités africaines en général, et l’Université d’Abomey-Calavi en particulier. En conséquence, dit-il, il y a encore nécessité d’investir pour la construction d’amphithéâtres appropriées et modernes pour la Faculté.
Cet état des lieux établi en matière d’infrastructures met en lumière des insuffisances dans le domaine des bâtiments destinés à abriter les enseignements et l’Administration de la Faculté. Cependant, on ne peut véritablement apprécier le chemin parcouru dans ce domaine par celle-ci que si on remonte aux origines de l’institution.
A cet égard, il suffit de se référer aux conditions de travail offertes aux étudiants des différents établissements de formation et de recherche de l’Université du Dahomey et celles qui étaient faites aux apprenants de l’INFCAPP et du D.S.J.E. jusqu’à leur transformation en Faculté en 1974 pour se rendre compte du sort peu enviable qui était fait à ce dernier établissement.
En effet, le Département des Etudes Médicales et Paramédicales (D.E.M.P.) a disposé assez tôt de bâtiments propres à lui pour ses activités pédagogiques et administratives sur le site de Cotonou, (Champ de foire). Il en a été de même pour le Département des Etudes Littéraires, Linguistiques et des Sciences Humaines (D.E.L.L.), pour le Département des Etudes Scientifiques et Techniques (D.E.S.T.) et pour le Département des Etudes Agronomiques et Agrotechniques (D.E.A.A.).
Pour ces derniers Départements, des infrastructures ont été érigées dès les premières années de leur existence juridique sur le site d’Abomey-Calavi. Ce ne fut pas le cas du Département des Sciences Juridiques et Economiques dont les étudiants « squattaient » d’une certaine manière, pour recevoir leurs cours, des bâtiments appartenant à diverses administrations publiques ou dans des salles appartenant à d’autres Départements de la même Université. On peut citer à cet égard certains bâtiments de l’ex Ministère des Affaires étrangères, notamment « la coupole de l’U.A.M. » et certains des bureaux de ce Ministère. De même, l’amphithéâtre du Département des sciences médicales et paramédicales abritait beaucoup de cours dispensés au profit des étudiants du département des sciences juridiques et économiques. On pouvait ranger dans la même catégorie le Centre d’Enseignement Ménager de SCOA Gbéto, certains locaux de la Chambre de Commerce et d’Industrie du Bénin (CCIB), la bibliothèque du Tribunal de première instance de Cotonou. En d’autres termes, seul ce Département ne disposait pas d’infrastructures propres à lui.
Le sort différent fait au Département des Sciences Juridiques et Economiques par rapport aux autres Départements avait une explication : de l’avis de certains décideurs du secteur de l’Enseignement supérieur, les formations que devait dispenser ce Département ne figuraient pas parmi les disciplines susceptibles d’aider notre pays à résoudre ses problèmes de développement. Pour cette raison, le Département des Sciences Juridiques et Economiques était à peine toléré dans cette Université naissante, surtout que c’est au sein des établissements assurant les mêmes types de formation dans les autres universités qu’émergeaient généralement les meneurs de grève. A partir de cette réalité, le Département des Sciences Juridiques et Economiques n’était pas loin d’être perçu comme une « usine à fabriquer des subversifs ».
Toutefois, il faut préciser qu’à partir de l’année académique 1975-1976, la plupart des activités pédagogiques et administratives de la Faculté des Sciences Juridiques, Economiques et Politiques (FASJEP) étaient concentrées dans les locaux du bâtiment qui était alors désigné sous le nom de « Hall des congrès » et qui a abrité récemment le Ministère chargé des Relations avec les Institutions et même la Primature. Malheureusement, cette ère nouvelle ne devait pas durer longtemps.
En effet, dès le mois de janvier 1977, lors de l’agression subie par le Bénin au cours de ce mois, les Mercenaires auteurs de cette attaque sanglante, ont lancé des armes lourdes sur le bâtiment en question, très probablement en raison de la position géographique qu’il occupe par rapport à la Présidence de la République qui constituait leur véritable cible. A l’époque, il ne faisait aucun doute que beaucoup de documents précieux appartenant à l’Administration de la FASJEP ont brûlé lors de cette attaque. De ce point de vue, la FASJEP a été une victime collatérale de l’agression armée du dimanche 16 janvier 1977.
L’une des conséquences immédiates de cette nouvelle situation a été le transfert en urgence de la Faculté sur le site d’Abomey-Calavi. Et si on devait demeurer dans l’ancienne logique qui faisait de la Faculté des Sciences Juridiques, Economiques et Politiques « le parent pauvre de l’Université », on imagine aisément les difficultés qu’auraient eu à affronter les responsables de la Faculté pour régler les problèmes pédagogiques et administratifs de cette entité pour le compte de cette année universitaire. Heureusement, la situation avait évolué entre temps grâce à l’action de certains hommes qu’il convient d’évoquer ici. Il s’agit notamment de feus Ignace Boco Adjo, Nathanaël Mensah et de Maître Robert Dossou.
Le premier, Ignace Boco Adjo, avait été l’un des premiers enseignants de la Faculté avant de connaître une ascension politique impressionnante et de se retrouver dans les instances dirigeantes du Parti de la Révolution Populaire du Bénin (P.R.P.B.) qui était un Parti-Etat. Le deuxième, Nathanaël Mensah, assumait les fonctions de Doyen de la Faculté et le troisième, Maître Robert Dossou, en était l’un des enseignants de premier plan. De plus, le deuxième et le troisième étaient très introduits dans les allées du pouvoir.
Ces nouvelles données expliquent largement la relative facilité avec laquelle les étudiants de la Faculté des Sciences Juridiques, Economiques et Politiques ont pu trouver la place nécessaire sur le site d’Abomey-Calavi pour achever leur année académique 1976-1977. Mais elles expliquent aussi les rumeurs qu’on enregistrait de temps en temps et qui portaient sur les revendications qu’élève la Faculté des Sciences Agronomiques (FSA) voisine. Ces revendications consistent à affirmer que certains locaux occupés par la FASJEP lui étaient en réalité destinés au moment où on les construisait.
On ne peut pas évoquer la question des infrastructures de la FASJEP sans s’intéresser aux trois Paillotes érigées dans la zone des bâtiments qui abritent les activités de cette entité. Lorsqu’on les observe aujourd’hui, elles apparaissent comme des constructions qui ne portent la dénomination de paillote qu’en raison de leur forme puisqu’elles sont couvertes de tôles, elles ont des fenêtres en « naco » etc. En réalité, cela n’a pas toujours le cas puisqu’au moment où le Doyen Robert Dossou les a conçues et a procédé à leur construction, elles étaient très proches des vraies paillotes, puisqu’elles étaient notamment couvertes de paille.
Avec le recul du temps, on est en droit de se poser la question de savoir pourquoi on en est arrivé à ériger de tels ouvrages pour abriter des cours dans une université publique dans un milieu où on ne rencontrait que des bâtiments de type moderne du monde occidental. Face à cette interrogation, on peut émettre trois hypothèses :
1- première hypothèse: le manque de moyens financiers suffisants pour offrir le type d’infrastructure qu’on rencontre dans les autres entités de formation aux étudiants de la FASJEP ;
2- deuxième hypothèse: une manifestation de dédain à l’endroit des disciplines qui étaient dispensées dans cette faculté, en relation avec leur rôle d’éclaireur et de perturbateur des politiques des gouvernants ;
3- troisième hypothèse: le recours à l’authenticité, préoccupation bien en vogue au cours de la période révolutionnaire qui mettait un accent particulier sur la nécessité de « compter d’abord sur nos propres forces ».
De ces trois hypothèses, celle qui semble la plus plausible pour l’auteur de la présente réflexion est la troisième. Ce choix est fondé sur la conviction plus fois affirmée publiquement par le concepteur et le réalisateur de ces paillotes en la personne de Maître Robert Dossou pour qui les Africains doivent se débarrasser du complexe de l’extranéité dans leur lutte pour le développement. Nous étions au début des années 1980. On ne saurait achever les développements consacrés à la présence des paillotes dans le paysage infrastructurel de la FASJEP sans se demander pourquoi cette expérience si originale n’a pas été dupliquée, ni dans cet établissement lui-même ou ailleurs.
A cet égard, il est utile de faire remarquer que l’existence de ces paillotes alimente une véritable controverse aujourd’hui dans le monde des cadres qui en sont issus. En effet, tandis que certains parmi eux pensent qu’il faut raser ces « paillotes de la honte » d’une époque révolue, d’autres sont convaincus qu’il est nécessaire de les réhabiliter pour la mémoire de la communauté universitaire en en faisant un « patrimoine de musée » relevant de l’histoire de l’Université du Dahomey devenue Université Nationale du Bénin et ensuite Université d’Abomey-Calavi.
Enfin, pour avoir une idée encore plus précise du contexte dans lequel la FASJEP a évolué à l’époque, on ne peut pas ne pas évoquer la politique mise en œuvre par l’Etat révolutionnaire au cours des années 1980 qui s’est traduite par la création, dans le même secteur d’activités que cet établissement de formation, de deux Instituts universitaires. Il s’agit de l’Institut National des Sciences Juridiques et Administratives (INSJA) et de l’Institut National d’Economie. Et comme pour marquer son option pour la formation professionnalisée dont étaient chargés ces deux instituts, le Pouvoir allouait beaucoup plus de ressources financières et matérielles à ces instituts qu’à la FASJEP. Evidemment, une telle politique n’était pas de nature à favoriser le développement de la FASJEP.
La seconde infrastructure à laquelle on identifie la FADESP, entité née de la scission de la FASJEP en deux nouveaux établissements, se trouve être l’immeuble à deux étages qui abrite depuis une dizaine d’années l’Ecole doctorale de la Faculté. Cet ouvrage a été édifié sous le mandat du Doyen Sikiratou Aguemon née Moustapha Lawani, la seule femme ayant exercé cette fonction jusqu’à présent parmi la dizaine de Doyens ayant dirigé la Faculté. Ce bâtiment fait la fierté de la communauté de la FADESP, particulièrement ces derniers temps où le Doyen actuellement en fonction a donné à certaines de ses structures une touche de modernité indéniable.
La dernière infrastructure ayant sa place dans cette rubrique et qui constitue une véritable avancée enregistrée ces dernières années par la Faculté est la bibliothèque spécialisée dont l’avant-dernier Doyen, le Professeur Barnabé Georges Gbago, l’a doté au cours de son passage à la tête de celle-ci.
En effet, pendant longtemps, une telle infrastructure relevait presque du rêve, les étudiants de la Faculté devant se fondre parmi les autres usagers de la bibliothèque centrale de l’Université, aux côtés de leurs camarades des autres entités de formation, pour bénéficier des prestations attendues de ce type d’entité universitaire.